Derrière les contours de cette géométrie musicale minimaliste et de cette poésie intime et dépouillée, au fil de ces plages musicales électro-organiques qui servent de toile de fond à de sobres récitatifs où se mêlent chant et murmure, on devine souvent une étonnante proximité avec les ambitieuses constructions collectivement élaborées par les membres du Herzfeld Orchestra : même volonté d’hybridation entre les formes savantes issues de la musique contemporaine ou du jazz (l’apport des cuivres de Daniel Paboeuf et Jérôme Bensoussan est ici tout particulièrement remarquable) et les canons plus restrictifs de la chanson ; même maîtrise des dynamiques musicales délicates où l’accalmie et les silences précèdent les montées en puissance paroxystiques. La deuxième partie de l’album (Tractus, Mon Ange) plus dense et plus accessible à la fois, offre donc un splendide démenti aux paroles du plus célèbre des militaires strasbourgeois (Rouget de L’Isle) : il n’est point besoin d’attendre que les aînés abandonnent la carrière pour y entrer et célébrer leurs vertus.

Le Plan, chanson qui ouvre l’album, est le plus beau texte écrit en français depuis des lustres. Rien de moins. La plus touchante description cartographique d’un rendez-vous manqué. Musicalement, la chanson Il est aussi une réussite, Philippe Poirier bâtissant une ambiance ouatée à base de samples, illuminée par des cuivres profonds – une chanson en apesanteur qui évoque le meilleur Portishead. L’Alsacien excelle dans ce registre encore sur Les Minces, interprété avec son fils Roméo. Ailleurs, il s’échappe de ces sonorités pour privilégier l’acoustique pure, limpide et fluide (La Chambre Des Merveilles, dénudée à l’extrême). On apprécie alors la présence de musiciens accomplis pour donner vie aux compositions, qui allient l’écriture classique de la chanson française et une approche jazz humble ; la poésie des textes et la justesse des orchestrations. L’écriture, le style, la forme, autant de qualités qui permettent à Philippe Poirier d’engager une conversation à une altitude où se repose Alain Bashung, loin, très loin du brouhaha quotidien.